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Songs of
5 février 2020

The (Not So) Good Place

Cet article revient essentiellement sur la fin de la série. Si vous ne l'avez pas vue mais souhaitez la voir, vous devez passer votre chemin ; à moins que vous aimiez les spoilers, auquel cas vous êtes au Bon Endroit.
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Conclure une série d'essence comique par un épisode triste à souhait, c'est un pari osé mais capable de payer fortement. Le cas de The Good Place est particulier à bien des égards : la conclusion de cette oeuvre pourtant remarquable a cela de réussi qu'elle touche vraiment, qu'elle émeut généreusement, mais elle n'en est pas moins gênante, très gênante, et pourvue d'un pathétique panel d'enseignements fallacieux.

Un à un, au fil d'un temps indéfini mais que l'on imagine s'étaler sur des milliers d'années, les personnages choisissent de mettre fin à leurs existences, de se rendre au néant en traversant une porte magique, présentée, par l'épisode précédent, comme une brillante idée propre à revaloriser la vie. Quand une série se termine, bien entendu, les personnages cessent toujours d'exister dans la mesure où ils n'ont jamais été réels ; cependant, selon le regard de l'imaginaire, qui est celui du spectateur et donc de la série-même, les personnages continuent de "vivre", et dans le cas où l'esprit considérateur ne croit, déjà dans son univers véridique, en aucune forme d'après-vie, l'ignorance constitutive qui le prive de toute possibilité de certitude absolue sur cette question, rend concevable la prolongation des personnages fictifs au-delà de leurs histoires, et même, depuis le coeur de ces histoires et par les lois du réel, certaine. Par conséquent, le dénouement de The Good Place s'emploie à trahir, à travers le meurtre raisonné et absurdement total de ses personnages, le bon sens inné de l'imagination, qui par sa nature avait signé le contrat leur donnant naissance.

Quoi qu'il dise, le plus athée d'entre les hommes ne peut être certain du caractère annihilant de la mort ; il ne peut pas non plus, par conséquent, faire face à une pareille certitude, ni sentir l'angoisse immonde et le malaise existentiel insondable qu'elle engendrerait. C'est une chose heureuse, bien sûr : la mort n'est pas la fin de la vie, et le plus dogmatique adversaire de cette thèse ne pourra jamais, en son for intérieur, se persuader dans son entièreté profonde de son contraire. De fait, ce contraire n'existe pas de façon absolue au rang des visions humaines. Au sein de son paradigme final, pourtant, The Good Place lui invente une place, déliant la logique de son incertitude existentielle primaire pour l'affubler d'un contresens à sa nature. Les personnages ne devraient, si leurs caractères étaient vraisemblables, pas admettre pleinement leurs "finissabilités", et encore moins se prétendre investis du pouvoir de leurs achèvements ; en cela, la position spirituelle, ultime, normalisée par la fin de la série, est d'une radicalité contre-nature.

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L'inexistence finale d'Eleanore, de Chidi et de Jason - ainsi que le futur dénouement semblable de tous les personnages de l'histoire, dont Tahani - provoque donc un malaise instinctif, une forme débile d'inhumain brouillamini. La série semble imposer sa plus parfaite inexistence en ôtant de ses héros toute sève de vraisemblabilité. Le spectateur ne peut pas trouver crédible l'élan poussant les protagonistes vers leurs néants respectifs – et par la force des choses leur néant commun ; il est absurde d'imaginer un état de paix si profonde, si totale, que l'individu y percevrait un appel logique et intime de son inexistence proche, ainsi que, à travers cet appel, un désir de disparition. La paix exclue toute idée de cet ordre, car elle n'interroge pas son environnement ou son quotidien, ou leurs valeurs ou leurs raisons d'être ; au contraire, elle ne peut que, par sa nature, les inclure – l'environnement et le quotidien - si pleinement que leur éternité tient dans son instant parfait. La complétude que trouvent Chidi et Jason, dans leur bonheur innefable habituel, n'est pas pacifique : elle est conflictuelle ; elle ressemble à une maladie mentale de l'usure et de l'ennui. Voir un “brillant” “philosophe” - multiples guillements justifiées – passer la porte du néant avec une détermination infinie, cela pourrait sembler beau pour un idiot psychologiquement trop oriental, mais pour tous les orateurs silencieux de la paix et de l'espoir, cela n'est hélas qu'une aberration insensée.

Certes Chidi incarne tout au long de la série un ramassis de clichés philosophiques, embourbé de références rasant bêbêtement les pâquerettes, mais il enseigne néanmoins des nécessités véritables de la morale, aussi convenues soient-elles pour tout un chacun. Dès lors, dans sa banalité intellectuelle, notre professeur n'est pas dénué de valeur. Cependant, alors qu'il fait face, de toute évidence, aux affres cruelles d'un nihilisme hurlant, il sert sa soupe à des élèves absurdes, passivement abrutis, tout en restant lui-même sourd au hurlement de l'Univers qui parcourt son être malade empli d'insuffisance comblée. On peut bien sûr trouver beau son discours sur l'eau de la vague retournant à l'océan – après tout, les philosophies orientales ont bien des adeptes parmi les incultes rêvassants qui ne les comprennent pas ; mais l'intelligence sait que la vie ne réside pas en une sorte d'êtreté inconsciente universelle, qu'il n'existe aucune forme sensible dépourvue d'esprit, et que l'entendement est bel et bien le père de la poésie rêvant ces idées ; autrement dit, Chidi ne peut en aucun cas trouver un espoir significatif d'existence dans le néant qu'il choisit d'embrasser, et s'il considère trouver dans l'inexistence une évolution naturelle de son être, cela ne fait que démontrer sa bêtise immense. C'est pourquoi, dans une mesure plus simple, on considère que les personnages pèsent bien leurs choix d'inexistence, et que le discours de la vague de Chidi, puis d'Eleanore, n'est qu'une aveuglante poétisation de leurs maladies mentales.

 

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Je partage ici critiques et billets d'humeur en m'accordant toutes libertés. Je réflechis, analyse et écris d'abord pour mon plaisir personnel, il n'est donc pas rare que les critiques présentées ici empruntent des biais de lectures si spécifiques qu'elles ne conviendront pas à l'internaute cherchant, à propos des oeuvres considérées, présentations globales ou prétentions d'objectivité.

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