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Songs of
16 juillet 2018

Le Retour de Chucky

 

Le_Retour_de_Chucky

Cult of Chucky est mauvais dans le sens où il trahit à la perfection l'essence de Chucky.

On peut considérer Chucky 4 et Chucky 5 comme des blagues ; le 4 est une bonne blague décalée, vaseuse et sympathique, et le 5 une blague excessive et grossière mais, au moins, dépourvue de prétention. On ne s'y sentait pas dans la continuité des trois premiers opus, et des années plus tard, Curse of Chucky est venu corroborer cette sensation en niant ces films-blagues pour continuer la chronologie originelle. Le film était sympa et renouait avec l'ambiance horrifique de ses authentiques aînés. Puis vient Cult Of Chucky, qui trahit leur essence comme les blagues précédentes n'ont jamais pu le faire, puisqu'elles ne possédaient pas les ingrédients originaux de la saga.

Mais d'abord, l'essence de Chucky, c'est quoi ? On conviendra que cette essence se tient dans les deux premiers films. Il s'agit en fait d'une dualité, celle qui oppose Chucky la poupée tueuse et Andy l'enfant. La force primordiale de Chucky tient au fait qu'il est une poupée, un jouet d'enfant, et que sa victime est un enfant ; enlevez l'enfant et vous perdez l'intérêt pervers et terrifiant de sa nature de poupée. Chucky est une poupée terrorisant un enfant. Andy est un enfant terrorisé par une poupée tueuse. Voilà l'essence de Chucky. On ne peut la retrouver sans ces deux forces en opposition. Voir grandir Andy n'a aucun sens : son personnage appartient à l'espace-temps particulier de cette expérience traumatisante, de cette dualité - au-delà de cet espace-temps, Andy est naturellement destitué de son film, il disparaît dans l'ouverture de son achèvement, tout comme son enfance y est sauvegardée, équilibrant la balance horrifique face à la poupée tueuse. Plus rien n'a de valeur solide au-delà de l'enfance d'Andy. Pour cela, Chucky 3 était déjà moins bon que les deux films précédents.

Mais là... là : Cult Of Chucky. Andy est un adulte débile, déprimé, jouant à torturer la tête défigurée de Chucky comme un écorché de grand cinéma, quand il ne partage pas un joint avec elle. L'essence de Chucky part en fumée, comme si elle n'avait jamais résidé dans cette dualité originelle entre la poupée tueuse et l'enfant, comme si Andy et Chucky n'avaient jamais incarné un archétype dualiste fondamental, intemporel et nécessairement daté, toujours actuel dans sa temporalité mais à la temporalité achevée comme un tableau logique et efficace ; comme si Andy et Chucky avaient amorcé en leur époque, dans l'illusion de cette dualité parfaite, la mort de leur propre logique, en initiant en fait un conflit manichéen infini se poursuivant à travers les âges (comme un schéma biblique puiserait son absurdité dans sa propre répétition), dans le déni de leurs forces archétypales, de leurs fonctions et de leurs natures cinématographiques. Andy n'a plus de signification ; si l'on croit en ce film, Andy n'en a jamais eue. Andy est un imbécile qui joue les héros et vide son unique chargeur, dans un asile infesté de Chuckys, contre un Chucky inoffensif, à l'intérieur d'une salle d'isolement dont il ne sait pas comment sortir et dont il ne sortira pas. Pathétique trajectoire. L'essence de Chucky est détruite dans l'exacte mesure où le film ne peut être complètement nié, comme on pouvait le faire avec les blagues 4 et 5 : Andy étant bel et bien présent, la balance originelle est sacrifiée aux feux de la stupidité des scénaristes.

Il y a une autre raison pour laquelle le film insulte sa série mère, une raison moins importante (puisque sans Andy, on aurait pu faire appel à un esprit de négation salvateur) mais néanmoins forte : les Chucky se multiplient. Outre le fait que cela soit tout simplement impensable, que cela revienne à tuer Charles Lee Ray à plusieurs reprises, à le rendre infiniment mortel, sinon infiniment mort, et surtout infiniment irréel, comme un personnage sans passé, sans structure cinématographique, sans aplomb individuel, un personnage infiniment théorique en somme, cela revient surtout à nier l'origine de Chucky. Chucky est la poupée tueuse, sa force tient au fait qu'il transforme une poupée en la poupée ; il donne une individualité à un objet qui, par définition, est de nature plurielle. La menace qu'incarne Chucky réside dans cette individuation. Charles Lee Ray est un dangereux tueur ; Chucky est une poupée tueuse, et par conséquent, Chucky est la poupée qui est bien plus qu'une poupée. En multipliant les Chucky, le film rend à la poupée sa pluralité, et en cela, il fait de Chucky, tristement et véritablement, une poupée. Il désindividualise son personnage emblématique, il le rend à l'impersonnalité de l'objet dont il était, à l'origine, la transcendance particulière. Et le pire - le pire ! - dans ce processus, c'est qu'il implique, par sa possibilité-même au sein du film, et plus encore bien sûr par sa réalisation concrète, que Chucky n'a toujours été qu'une poupée, aussi tueuse fût-elle, que l'individuel Charles n'a été qu'une incohérente illusion scénaristique. Chucky n'a donc jamais été la poupée tueuse : Chucky n'est, au fond, depuis toujours, qu'une poupée Chucky.

Rarement un film n'aura trahi son essence de manière aussi profonde et aussi savante. Il semble que le propos final de Cult Of Chucky soit de contredire le sens fondamental de la série dont il est issu. Un tour de force magnifique, insultant, gerbant. Une catastrophe.

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Je partage ici critiques et billets d'humeur en m'accordant toutes libertés. Je réflechis, analyse et écris d'abord pour mon plaisir personnel, il n'est donc pas rare que les critiques présentées ici empruntent des biais de lectures si spécifiques qu'elles ne conviendront pas à l'internaute cherchant, à propos des oeuvres considérées, présentations globales ou prétentions d'objectivité.

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